1.
Gena a fait tomber sa barrette de cheveux dans la rue. Adrien l’amène chez lui toute ébouriffée, sans dessus dessous. Il lui dégage une mèche :
ADRIEN. — Au boulot maintenant…
GENA. — Sans préliminaire ?
ADRIEN. — Sans…
Il passe sa main dans ses cheveux, pour chiffonner son visage. La moue boudeuse de Gena ne présage rien de bon.
GENA. — Sois dedans ! Ne me fais pas perdre mon temps. Tu voulais savoir ce qui pousse une femme à aimer la double pénétration ?! Tu veux vraiment le savoir ?
Il ne répond rien, rajustant ses lunettes cerclées de noir. Il est embarrassé.
ADRIEN. — Tu veux que je retourne chercher ta barrette au café ? Je demanderai à Nora, elle t’adore.
GENA. — Mon pouvoir de séduction franchit la barrière du genre. Je plais aussi aux femmes, et alors ? Ça te dérange ?
ADRIEN. — Deux femmes et un homme… deux hommes et une femme, tu préfères quoi ?
GENA. — Deux femmes et deux hommes.
Ils éclatent de rire, puis Adrien leur prépare une bouilloire de thé vert.
GENA. — C’est un philtre d’amour ?
La bouilloire se met à siffler, et le couvercle tremble. Ils se regardent en silence.
ADRIEN. — Normalement tu réponds deux hommes et une femme. Jules et Jim.
GENA. — Il faut que je t’avoue quelque chose Adrien.
Il se demande si c’est un pain dans la gueule qu’il va se prendre.
GENA. — Je n’aime pas la sodomie…
Il est rassuré.
GENA. — Alors tes histoires de deux hommes déverrouillant les trous de mon intimité me laissent coite.
ADRIEN (plaisantant) — Me lèche quoi ?
GENA. — Me lâche les couilles.
ADRIEN. — Attends, faudrait savoir ?
GENA. — Mais c’est toi ! Arrête !
ADRIEN. — Je te demande juste de répéter ce que tu viens de dire et tu me fais une crise.
GENA. — Cesse de m’aboyer dessus. (Hautaine) Ça se fait à deux ! Il y a une certaine élégance dont certains hommes n’auront jamais le secret.
ADRIEN. — Tu veux tout maîtriser.
GENA. — Nooooon !
ADRIEN. — Tu m’empêches de parler quand tu sens que c’est important ce que je vais dire. Tu ne veux rien entendre. Parce que je suis un homme.
GENA. — J’entends avant même que tu ne prononces tes mots. Je vais trop vite pour toi.
ADRIEN. — C’est la femme qui donne le rythme, et tu vas trop vite pour moi. Très bien, nous n’avons qu’à nous arrêter là. C’est fini.
GENA. — Buvons le thé pendant qu’il est chaud.
ADRIEN. — Il est bouillant, je vais t’ébouillanter avec du thé, ça te calmera.
GENA. — Tu es chaud bouillant. Quand je vais chez quelqu’un, je me mets en mode séduction. Quand je suis chez moi, j’enfile mes chaussons, je m’en branle…
ADRIEN (menaçant) — Attention, tu es donc en mode séduction ici, car ici, tu es chez moi !
Gena se lève du lit où elle s’était installée, avance lentement vers Adrien, s’approche de sa tête… et lui ébouriffe les cheveux dans un éclat de rire.
GENA. — Attention, je fais de la boxe.
ADRIEN. — Je n’ai pas envie.
GENA. — Tu veux un uppercut, pauv’ con !
ADRIEN. — Nous sommes en plein dans le mille. La Sibylle, c’est exactement ce que je lui ai dit l’autre fois au café : Je n’ai plus envie. A force de jouer avec mon désir, il est possible que l’homme s’en trouve une autre. Je suis amoureux, moi, madame.
GENA. — Mon petit Adrien, je n’ai pas vingt-cinq ans, j’en ai quarante-deux ! Et les culottes courtes, je les laisse sur mon ring de boxe.
ADRIEN. — Tu les lèches sur ton ring de boxe ?
GENA. — Je les lèche KO.
ADRIEN. — Ça tu adores, hein ?!
GENA. — J’adore.
ADRIEN. — Moi, pas du tout. Je n’aime pas les jeux de mots. Je trouve que tu es superficielle Gena.
GENA. — Mauvais joueur.
ADRIEN. — Tss !
GENA. — Mauvais perdant.
ADRIEN. — N’importe quoi…
GENA. — Aïe ! je me suis brûlé la langue.
ADRIEN. — Mon thé t’a-t-il ôté ta toux ?… Audrey Tautout !? — ben on est mal barré si je commence à faire des mauvais jeux de mots, là, comme toi.
GENA. — Pas du tout. Pas du Tautout. Pas du Tatout.
ADRIEN. — N’importe quoi, c’est bien ce que je disais.
GENA. — Prends-moi si tu es un homme.
ADRIEN. — Mais tu es mariée ?
GENA. — Et alors ?
ADRIEN. — Hector est mon ami ?
GENA. — Justement…
ADRIEN. — Hector est comme mon frère. Je suis Pâris dans notre histoire.
GENA. — Entamons une discussion plus poussée, veux-tu ?
ADRIEN. — Je croyais que tu étais venue ici pour baiser.
GENA. — Je suis venue pour parler.
ADRIEN. — Pour me baiser la gueule.
GENA. — Et les mots, ce n’est pas à toi que je vais le dire, atisent le désir.
ADRIEN. — Pour me baiser la gueule, c’est ce que je disais.
GENA. — Et le plus grand fantasme serait de jouir avec les mots, et pas seulement avec deux bites.
ADRIEN. — Une dans la gueule, et une autre dans l’anus. J’ai saisi. Hector n’est pas là, et je suis une merde, merci Gena.
GENA. — Une dans la gueule, je ne peux plus parler. C’est ça ton plan ?!
ADRIEN. — Bravo, chérie, je ne suis pas déçu… Tu es à la hauteur de mes attentes, largement. Un peu coincée, certes, mais ce n'est pas désagréable maintenant que je le sais. Tu es motivée, c'est ça qui nous sauve.
GENA. — Si je n’étais pas motivée, on ne serait pas dans la merde… Je ne te le fais pas dire.
ADRIEN. — Un horizon de ciel bleu et de tendresse, Gena et Adrien… Nous baignons dans le bonheur. C’est nous. C’est Belleville. C’est les enfants à l’école quand nous n’y sommes pas. C’est Paris sous la neige qui ne dure plus et les parcs pour aller jouer et faire de la luge, fermés pour cause de sécurité. C’est Paris-plage pour seulement endiguer le flot incessant des autos qui nous rongent, qui rongent son architecture admirable que le monde nous envie.
GENA. — C’est moi qui ronge mon frein en attendant mon homme, en culpabilisant parce que je n’ai rien foutu de la journée… Une brèle même pas foutue de faire les courses. Une maman qui se laisse faire par son bonhomme de six pommes qui lui parle mal, et qui ne répond rien, qui perd tous ses moyens, qui pleure quand personne n’est à la maison et que ma boîte mail est vide, définitivement creuse, comme une coquille d’œuf, toute friable. Je me sens vide, moche…
ADRIEN. — Ce sont les femmes qui disent non, non, pas maintenant… Tu dansais bien le slow, toi ?
GENA. — Ah ! Monsieur, c’est que j’avais des seins, moi !
ADRIEN (tout excité) — A partir de quel âge ?
GENA. — A 36 ans, ils ont fondu. Deux grossesses, douze mois d’allaitement.
ADRIEN. — Je sais ce que c’est, j’ai ma mère aussi.
GENA. — Sale mioche !
ADRIEN (se rapprochant d’elle) — C’est pour ça que je suis ton ami… Je suis aussi moche que toi. Lola et Maruschka, au café, elles me détestent à présent. Il n’y a plus que toi pour m’aimer. Et mon amoureuse depuis dimanche.