

Jérôme: Ah ! Je te vois. T'es encore en sueur Gena ?
Tu tiens encore sur tes jambes ?
moi: J'ai essuyé les gouttes qui perlaient de mon front et me voici d'aplomb !
09:22
Jérôme: Une main sur Le Dindon, de Feydeau, à la Tempête, par Philippe Adrien, et une autre sur Hector.
moi: Et les jambes dans le vide …
09:23
Tu as peut-être raison. Voir cette valse continue de cocus m'a fait tourner la tête. Et je t'ai rejoué "Sueurs froides".
Du Hitchcock pour effacer Feydeau.
Vendredi 10 septembre, Jom et Gena sont allés au théâtre de la Tempête pour voir Le Dindon de Feydeau.
09:24
Jérôme: Aah !
moi: Moi aussi je marchais à contre-courant, comme les comédiens sur leur plateforme mobile, traversée d'éclairs lumineux stroboscopiques.
09:25
Jérôme: Continue, c'est toi l'historienne de l'art… Je t'écoute. Parle encore. Souviens-toi. Remontons à la source, ensemble.
moi: Si tu le fais, je le fais : nous dit Lucienne, la femme courtisée et mariée. Intéressant …
Jérôme: Hein ?
09:26
moi: N'attend-elle pas que ça pour aller voir ailleurs ?
Que son mari la trompe pour ouvrir la voie ?
09:27
Jérôme: Ah ! tu me fais rire Virginia, car tu mets le point sur l'aspect le plus artificiel de la pièce.
moi: A mon avis, sa tromperie n'est pas une vengeance, mais un calcul.
Jérôme: Le calcul du dramaturge, pas celui du personnage.
09:28
moi: Et là où je mets le point, c'est sur la manipulation.
Jérôme: De l'auteur, j'insiste, pas du personnage. Je n'y crois pas. D'autant que PA (Philippe Adrien le metteur en scène) s'est arrangé pour que personne n'y croie vraiment. Le cynisme.
09:29
Regarde la fin, la conclusion : elle est merdique. Nada, elle ne dit rien. Le temps de parole est vide, perdu.
Je crois qu'il faudrait que l'un de nous résume l'argument ici.
09:30
C'est un appel du pied que je te fais, Madame la Professeur.
Et puis je rêve de te voir, encore une fois, comme vendredi soir, te prendre les pieds dans le tapis…
/°-)
09:32
PA fait monter la sauce, puis quand elle est montée, il casse… C'est la méthode PA.
09:33
moi: Lucienne est une jeune femme mariée, belle et pleine d'esprit. Son mari, un amateur d'art. Au début de la pièce, Lucienne est suivie par un bellâtre, que PA a choisi de nous représenter en toréador. La belle se la joue outrée, mais voilà qu'un 3eme homme entre en jeu, un soupirant de la belle. Elle lui jure que si elle apprend que son mari la trompe, elle se vengera en s'acoquinant à ce jeunot. S'en suit un vaudeville avec femme du toréador sortie du placard, amantes et maris des amantes, homonymes et réparties saillantes …
Le dindon, toréador de l'amour, et le jeune prétendant
09:35
Jérôme: Oui, c'est exactement ça, ouf ! merci de l'avoir concentré pour nous. PA, comme une femme frigide qui dirait : "Mais non, je te sens mon chéri ! Si, si, je vais jouir !" Et de l'entendre nous parler du Dindon et de Feydeau qui a des difficultés, paraît-il, à écrire. ["A baiser", dirait Freud, qu'aime tellement PA.]
09:36
Le Dindon est une pièce sur le désir des hommes, et le refus des femmes.
moi: Les hommes sont bêtes - des dindons - et les femmes, perverses - elles tiennent l'argument de la pièce. Gender théatre ?
09:37
Jérôme: Un écrit sur la vénalité des femmes, légitimes ou trompées, cela ne fait aucune différence sous le prisme de Feydeau le boucher, de Feydeau le bourgeois de…
09:38
moi: Le Dindon est peut-être une pièce sur le désir naïf des hommes, instantané, et sur les visées des femmes.
Ce qui distingue l'homme de la femme dans cette pièce tient dans cette confrontation de l'instant et du calcul sur le long terme.
09:39
Jérôme: Oui, oui, exactement… Quant au côté Gender de l'argument, non, je ne le vois plus, il m'a échappé ? Nous en avons parlé vendredi entre deux coulées de sueur ?
moi: Une pièce sur le désir actif et le fait d'être désirée …
Gender theatre car hommes et femmes confrontent leur comportement.
Jérôme: Ah ! oui, c'est ça : le rôle social.
09:40
moi: Pas que … La vision fragmentée de l'homme et la vision globale de la femme.
Le court terme pour l'homme et le long terme pour la femme.
09:41
La possession chez l'homme et le désir chez la femme.
Me suis-tu ?
09:42
Jérôme: Mais il n'y a rien de Gender dans ces thèmes ? Si tu m'écoutais plus attentivement au Bariolé, tu le saurais déjà, Madame la Prof. La Gender fiction n'est opérante que s'il y a un jeu sur les rôles, précisément. Or dans le Dindon, aucun renversement des rôles, aucune inversion, aucune ironie sinon celle de PA de grimer "Gérôme", le père du troisième larron, en homo.
Il casse le seul moment émouvant de la pièce. Le seul.
moi: Non non, le père du jeune soupirant est plutôt une mère nourricière.
09:43
Il nourrit le « fils de lait ».
Jérôme: Si tu étais resté au buffet, et si tu avais fait ton boulot de journaleuse-bloggeuse jusqu'au bout, tu aurais bavardé avec le comédien et tu saurais.
moi: Là, nos lecteurs vont s'égarer. Explique.
Jérôme: Attends une minute…
09:45
Gérôme aime sincèrement son protégé. D'un amour inconditionnel. De plus, il est brave en s'interposant entre le Matadore et son protégé quand il est question de lui passer la pâtée. C'est un chevalier, un homme, un vrai.
Or PA le ridiculise. Pire : il sous-entend que ce pourrait être par perversion qu'il aime son protégé.
Le sexe est un interdit pour PA, comme pour Feydeau.
09:46
Disons, plutôt pour PA que pour Feydeau capable de représenter un homme qui n'a pas envie.
S'il l'homme n'a pas envie chez Feydeau, c'est que parfois aussi le sexe est possible et satisfaisant. Ce n'est pas la vision de PA.
Pour qui le sexe n'est presque jamais satisfaisant.
09:47
Complexe d'impuissance et obsession du pouvoir pour remplacer la bandaison.
moi: Le sexe est un pantomime grandiloquent pour PA.
Jérôme: Louis XIV n'est pas libre, il jouit de son pouvoir, ce n'est pas pareil.
moi: Ce serait intéressant de parler de ces scènes où les femmes se dénudent.
09:48
De cette vision de la chair chez PA.
Un bordel avec jupes à froufrous de cabaret.
Jérôme: La vision réac du sexe ? Porte-jarretelle et le popotin froufrou ?
moi: Exactement.
09:49
Jérôme: Je retiens surtout le protégé serrant dans ses bras Gérôme, parce qu'il l'aime. J'aime cette image.
moi: C'est précisément dans cette vision que le metteur en scène a ajouté sa pâte.
Jérôme: PA n'est pas un mauvais bougre, au fond.
moi: Quant à Gérôme, je te soupçonne de tendresse parce que le comédien ressemble à ta mère !
09:50
Jérôme: Ah ! ah ! ah ! si tu étais venue voir "Le jour des noces chez les Cromagnons", tu saurais pourquoi j'aime ce type.
Il est extraordinaire.
moi: Assurément !
09:51
Jérôme: Comme Grand-mère par ailleurs.
Extraordinaire.
Comme toi.
Perlée de sueur, comme si tu étais enceinte.
Sourde à tout ce que j'aurais pu te dire pour t'aider.
moi: Vertige, vomissements, sueurs … et tu m'as laissée rentrer seule.
09:52
Jérôme: "La pizza est au four, elle va brûler, il faut éteindre le four !" répétais-tu en boucle.
moi: Sourde car je me voyais partir et j'organisais mon départ : mes enfants dont il fallait s'occuper, la maison à ranger, les papiers à remettre en ordre …
Je me voyais morte !
Jérôme: J'aurais pu te lire l'annuaire, tu répétais en boucle : "Non, non, et demain, comment ferai-je avec les enfants !?"
moi: J'ai cru mourir !!
09:53
Jérôme: Plusieurs fois je t'ai dit : "Allons, ne pense qu'au moment présent, petite maman…"
Mais tu ne m'entendais plus.
moi: Fuir le moment présent pour échapper à sa mort !
Jérôme: Tu étais morte, oui, pour nous tous, tous les hommes et les femmes autour de toi. Obsédée par l'idée d'Hector à la maison, avec les enfants, que tu n'arriverais jamais à rejoindre.
09:54
Tu étais perdue, finie, seule !
Merci pour moi !
Et le chat de Bonnard alors ? Il ne compte pas ?
moi: Je pensais que je n'arriverais plus à partir de cette scène. Mais tu me tendais le bras, va.
Jérôme: Et Marie-Antoinette chez Vuitton ? Elle compte pour du beurre ?
Marie-Antoinette, Elisabeth Vigée-Lebrun
09:55
[Long silence.]
Ah ! ah ! ah !
Sourire chat jaune à la Bonnard.
Car je suis heureux.
09:56
moi: Moue Vierge à la Piero della Francesca. Je suis effondrée.
Jérôme: "Il fallait bien trouver, dans cette grande ville perverse, une jeune fille de vingt ans", chantait Trenet.
Sauf que Marie-Antoinette et toi n'avez plus vingt ans.
09:57
Ni l'une, ni l'autre.
La princesse Sioux, par contre…
50, 60, mais toujours vingt ans.
Le temps n'existe pas.
Ma boulangère qui faisait Ramadan :
09:58
"Le plus difficile, c'est la journée et la soif, pas le mois d'août à Paris en 2010."
moi: Le temps est élastique : il se distend par moments pour remonter en flammes.
Jérôme: Dans ma théorie du sable et de la vague, la soif, c'est l'amour. Le filtre d'amour.
A boire.
Mais tu ne voulais rien boire vendredi.
Tu étais en nage, mais tu ne voulais rien boire.
moi: Le temps pendouille et se contracte dans un dernier sursaut musculaire.
09:59
Jérôme: Tu te réservais.
Mmh ! pour Hector.
moi: Je ne voulais plus boire, je voulais l'ascèse.
Jérôme: Braquemart.
moi: Pour le côté pendouillant ?
10:00
Ce qui voudrait dire que le sexe est affaire de temps.
Jérôme: Mais non : Musique de Carnaval pour l'extérieur, mais d'opéra dans ta tête quand tu es avec ton homme.
Tu dois être bueugleuse.
Je ne sais pas, je te vois ainsi.
Hein ?
10:01
moi: Je comprends rien : bueugleuse.
Jérôme: Tu dois t'exprimer oralement en baisant.
Je ne sais pas.
Does she ?
I mean : Gena is she a screaming girl ?
10:02
moi: Un râle discret et des respirations fortes …
Jérôme: …
Bien…
Nous y sommes.
10:03
Parle nous du radiateur vert.
[Long silence.]
moi: Respirations fortes pour souffler le chaud comme le radiateur …
10:04
Jérôme: Ah ! ah ! ah ! tu te caches. Comme les nanas du Dindon.
Elles se plaignent, ou elles tapent !
moi: Ah! ah! je suis trop forte. Je t'ai eu!
Jérôme: Pas du tout, chérie.
15/15
Tu fais semblant.
10:05
De respirer.
Et de souffler.
moi: Comment j'ai relégué ton histoire de radiateur en une poignée de mots !
Jérôme: Or, c'est caliente à l'intérieur, et tu ne veux rien entendre, rien savoir.
Une poupée de chiffon qui a peur de tomber dans les escaliers.
Weak, dirait peut-être la femme mariée suédoise.
10:06
Nous reviendrons au radiateur une autre fois.
moi: Pas du tout, une poupée qui sait très bien de quel chiffon elle est faite.
Jérôme: Oui, ça, oui, pour jouer les courtisanes et faire poupou avec Marie-Antoinette en haut de la pyramide.
Seulement poupou.
10:07
Comme avec le bobo poilu.
moi: Pou pou pidou.
Jérôme: [C'est compliqué à suivre, n'est-ce pas lecteur ?]
moi: M'envierais-tu ma sociabilité et mon élégante pudeur ?
Jérôme: Nos vies sont intriquées si profondément les unes dans les autres.
Que tu en es toute en sueur.
moi: Des poupées, russes cette fois !
10:08
Jérôme: Qui ? la nouvelle femme de l'ex de Marie-Antoinette ?
moi: Ahh!!
Jérôme: Quel est son nom ?
moi: La Pompadour
10:09
Jérôme: Hein ? mais je te parle de l'ex, pas de sa mœuf !
Louis XVI ?
moi: Louis XV !
Jérôme: Ah ! ah ! ah !
Nous sommes d'accord !
moi: Il faut que je te présente mon pote prof d'histoire …
10:10
Jérôme: 40/15, jeu Virginia !
Je te suis.
Et la fille de Babache.
Méphisto le B* ??!
moi: Méphisto fait l'S
10:11
Faut bosser maintenant. Je crains que nous ne soyons très ésotériques.
10:12
Jérôme: Et nous publierons les inédits de nos conversations en recueil.
10:13
moi: Sur du papier bible ! Ciao.