mardi 29 juin 2010

La cigale et la fourmi écrasées sur un pare-brise


10:30

moi: Ta lumière verte est allumée, je n'y crois pas ! Mais oui, nous sommes de retour à Paris !

10:31

Jérôme: Oui…

moi: Prêts à reprendre la conversation après le bon sandwich d'hier au 140.

Jérôme: Oui.

10:32

moi: Ce qui est dommage, c'est que j'ai loupé Les Misérables, nous aurions pu écrire une critique croisée.

Jérôme: Ça, je ne te le fais pas dire.

C'était du premier degré, et c'était magnifique.

10:33

Je l'ai vu accompagné par une jeune fille de onze ans.

La seule personne dans Paris a vouloir m'accompagner là-bas.

Et encore, au départ, elle aussi a refusé.

moi: A pouvoir, rectif.

10:34

Nous étions engagés auprès d'une amie.

L'amitié, te souviens-tu de notre discussion sur l'engagement ou le détachement ?

10:35

Jérôme: Tu es un exemple parmi une vingtaine. Non, je ne me souviens de rien — je suis ronigerien, rien, rien, nada… Prétextant préférer aller à la bibliothèque François Villon, la jeune fille de onze ans, comme vous, a d'abord refusé.

Puis elle s'est ravisée.

Et ce fut l'extase, pendant trois heures.


moi: Et de la théorie bouddhiste du détachement pour ne pas souffrir, quand je parlais de l'attachement et du risque de souffrir.

Jérôme: Magnifique.

10:36

Ah, oui… Ben je suis allé au Châtelet. Juste comme ça. J'étais détaché.

10:37

moi: Détaché de ta laisse, celle de Rops dans son dessin sur la luxure ?

Jérôme: D'elle, non. Pas du tout.

L'argent.

Le désir.

La femme.

Son refus.

Mon spleen.

Mes peurs.

10:38

moi: Le refus est un tango, il se joue à deux.

Jérôme: A la rentrée, c'est sûr, je prends des cours de tango.

moi: Une danse violente et passionnelle.

Jérôme: Avec un médiateur.

moi: Tu n'en as pas déjà pris avec Rosélia ?

10:39

Des cours de tango, je parle, pas d'une thérapie de couple.

Jérôme: J'ai bien peur que ce soit d'une thérapie de couple dans mon cas.

moi: Pourquoi ?

Jérôme: A la fin, la cigale…

10:40

Tu veux vraiment entrer là-dedans ?

moi: Je n'ai jamais bien compris cette fable, la Cigale et la fourmi.

Jérôme: Tu veux vraiment que je soulève le voile sur mes plaies ?

Es-tu prête à voir la cigale en pleurs, à la fin du conte ?

Désespérée ?

10:41

La cigale avait deux enfants, une ex, des problèmes d'argent.

moi: La cigale ayant chanté tout l'été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue. Mais la fourmi alors ... elle n'a pas chanté !

10:42

Qui des deux est le plus à plaindre ?

Jérôme: Tu poses la mauvaise question.

10:43

Ce n'est pas une question de plainte, mais de collaboration et d'épanouissement personnel.

moi: C'est une question de sacrifice.

10:44

Jérôme: Mais non.

10:45

moi: Je t'ai dit, je ne sais pas quelle morale tirer de cette fable ?

Jérôme: Il n'y a pas de morale, c'est ça qui est bon.

Et tellement dur.

Violent.

Pas beau à voir.

moi: Dans toute fable, il y a une leçon, non ?

10:46

Et dans toute expérience, souffrance ou jouissance, il y a un enseignement, non ?

Et c'est toi le chrétien ?

Jérôme: Des chemins de traverse.

Des tunnels.

10:47

A traverser.

La difficulté est de savoir quand il faut changer d'endroit ou simplement s'affirmer et s'endurcir.

moi: Des chemins de traverse, l'image me séduit. J'aime l'idée d'emprunter ces chemins de traverse et de quitter les voies rapides toutes tracées.

10:48

C'est pas mal de se perdre aussi ...

Jérôme: Je ne parle pas de ces chemins-là.

10:49

Un accouchement n'est pas un chemin qui fleure bon la noisette.

Une mise à mort non plus.

moi: Et entre les deux ?

Jérôme: Il y a les moments de bonheur et d'extase.

Les regards.

10:50

moi: Et ben voilà !

Jérôme: Les odeurs, en effet, de noisettes.

moi: Les moments de partage ... sans détachement.

Jérôme: Il faut être détaché, parfois aussi dans le bonheur.

10:51

Comment se vit l'instant présent si nous savons qu'il ne se reproduira pas ?

moi: Sans doute, mais je m'interroge sur l'implication.

Quant à l'instant présent, c'est ça qui est bon : il est unique.

10:52

Fragile, fugace, fort.

Jérôme: …

Prends encore quatre mesure. Je t'écoute.

10:54

moi: Et puis l'instant présent cède la place à un autre instant présent, s'enchaîne, s'emboîte, déraille. Il y a même des sorties de route (de chemins de traverse ou d'autoroutes), mais l'embarcation avance.

Jérôme: Ah…

10:55

moi: Avec une carlingue de voiture un peu cabossée, patinée par la pluie et le soleil, constellée de moucherons et de moustiques, de cigales et de fourmis ...

10:56

Des arrêts pour se ravitailler en énergie.

Des passagers différents, et un conducteur.

10:59

Jérôme: J'ai vu Chet Baker trois mois avant sa mort. Au New morning. Ce n'est pas une image. Ni un tableau au Louvre pour représenter le Christ en croix. Je n'oublie pas cet instant. Lorsque parfois j'écoute un morceau de Chet sur iTunes, comme ici en t'écrivant Funk in Deep Freez, je pleure en me souvenant de Lui.


11:00

moi: C'est beau. J'ai vu Léo Ferré à Alger, j'étais petite et je me souviens de ce vieil enragé qui nous insultait et de ces yeux, tout petits et noirs, qui nous lançaient des éclairs. Puis il chantait, et la violence se faisait belle.

11:01

Jérôme: Le poète est le seul à oser couper la branche sur laquelle il se tient.

Par curiosité ou par ennui.

Le spleen n'est ni une image, ni une maladie.

11:02

C'est une certitude et un savoir.

moi: Je connais le spleen, c'est aussi un moteur, parfois l'essence de la voiture.

11:03

Tu serais dans une décapotable quand je serai dans une petite 2 chevaux, enfermée dans mon habitacle ...

Et parfois ouvrant la porte pour sortir de la voiture.

11:04

Jérôme: Je me souviens, oui.

Tu étais là.

moi: Mais j'adore les décapotables, sentir le vent, la chaleur, le froid. C'est pour ça qu'on écrit ensemble peut-être ...

Jérôme: Je me souviens.

11:05

Almost you.

I'm a fool to want you.

moi: Où est la liberté ? Nous revenons à notre cigale et notre fourmi ...

11:06

Jérôme: Que s'est-il passé avec nos voitures ?

moi: Elles se sont croisées et chacun a aimé l'allure de la voiture de l'autre et ce qu'elle représentait : l'un exposé au dehors, l'autre à l'abri à l'intérieur.

11:07

Jérôme: Non, je pense qu'il y avait autre chose.

moi: Un carambolage ???

Jérôme: Non.

Avant.

Avant de nous croiser.

moi: Un cadavre dans le coffre ???

11:08

Ou peut-être le fait que nous ne savons pas conduire et que nous nous laissons conduire ?

11:09

Une destination commune ?

11:10

Jérôme: J'ai oublié les mots, je me souviens seulement de l'émotion.

Je me souviens de la gravité de l'instant.

moi: J'aimerais que la voiture m'emmène dans un espace vierge, infini, face à la mer. Les Hauts de Hurlevent.

11:11

Jérôme: La nausée, relativement à un personnage absolument terrible, est encore là, on the brink. Le sentiment de tomber. Le sentiment du vide sur la land.

11:13

Arrêtons-nous ici.

moi: Premier arrêt. Dégourdissez-vous les jambes.

mardi 8 juin 2010

Passage à vide



15:19

moi: Salut !

15:20

Jérôme: Hey ! La Vierge de la Miséricorde !!!

Virginie !

Gena !

Virginia !

moi: Dimanche, jour de repos de la Vierge.

Jérôme: Mmmh…

moi: Après un samedi explosif à donner mes cours.

Jérôme: Je sens que je vais m'en prendre une…

La Vierge enfile son nouveau costume de…

15:21

moi: Non, je ne t'en veux plus de falsifier la vérité ...

Tu fais bien ce que tu veux, sans censure.

Jérôme: Mmh — un indirect du droit — augh !

Dans le bide.

Ce que je veux —

15:22

Mais je ne t'aime plus.

moi: J'aurais visé la cervelle si j'étais en face de toi.

Jérôme: Crack !

Le nez brisé.

moi: Quoiqu'elle soit déjà en bouillie.

Jérôme: Jom au nez brisé en face de Virginia.

moi: Tu bosses bien en Suisse ?

15:23

Sur notre montagne dans les hauteurs de Belleville, je continue la routine ...

15:24

Ca y est, j'ai visé dans les gencives et tu es muet !

Réduit au silence ...

15:25

Jérôme: Mais non…

Je m'occupe de grand-mère.

moi: Petit chaperon tout jaune ...

15:26

De la couleur de ton pull de printemps.

Jérôme: A Lausanne, dans ma version de Heidi, le père est présent, et quand il bosse, c'est grand-mère qui prend la relève et non pas grand-père.

Mon histoire en Suisse est l'enfant monstrueux du Voisin Totoro, quand il viole Heidi.

15:27

Je suis l'enfant monstrueux de cette union dans la fiction.

moi: Heidi, si pure, et son edelweiss ... laisse-la tranquille pervers pépère!

Jérôme: Et grâce à toi, en plus de ma sale gueule, j'ai le nez en bouillie.

15:28

moi: Laisse-toi pousser la mèche !

15:29

Jérôme: Quoi ? Tu veux jouer les mémèches ? Je l'ouvre trop, ma sale gueule, alors c'est le moment des gnons sur la gueule, certes, mais je t'en supplie, ne joue pas les mémèches avec moi !

Pleaaaase !

moi: J'avais oublié Mémèche, excuse !

Jérôme: Pleeeeeese !

I beg you !

Je t'en supplie !

Grâce !

15:30

… Vierge de la Miséricordia !



moi: Mémèche le voleur de minettes, qui a ravi à Jom the cat sa douce et bien-aimée.

Jérôme: C'est vrai.

Toute ma vie je la regretterai.

Enid dans les yeux turquoise du Minotaure.

moi: Il a su cacher sa face de raie avec sa mèche, lui !

Jérôme: Aaah !

15:31

Donc moi je ne cache rien ?

Je suis cash !

Un mot gentil.

moi: Bof, cash, suis pas sûre ...

Jérôme: Merci.

Pffff…

moi: cash cash.

Jérôme: Crochet du gauche, dans l'oreille.

J'ai l'oreille qui saigne.

15:32

Comme une femme sourde.

Comme la femme dans l'Oreille d'Œdipe.

Je me cite en vrac.

J'oublie ce que j'écris — avec toi ou même seul.

Puis je me cite.

moi: Homme aveugle, femme sourde. Je vois où tu veux en venir. Encore une théorie mûrement réfléchie à nous livrer en impro maîtrisée.

15:33

Jérôme: Je fais l'apologie de moi-même, oui, inventeur, après Sigmund, du Complexe du Minotaure.

moi: Et si nous parlions de l'infini et du monochrome dans la peinture contemporaine, tu me suivrais ?

Jérôme: Pour remplacer celui d'Electre, défaillant à mon avis.

15:34

moi: Le champ illimité de la couleur.

L'impression de perdre ses repères.


Enrico Castellani, Superficie argento, 2008


Jérôme: Je te suivrai n'importe où.

moi: Formes flottant dans l'espace infini de la couleur.

Jérôme: Vas-y, indique-moi le chemin.

moi: Rothko et l'absolu.

15:35

Le chemin, c'est qu'il n'y en a plus. Finie la voie tracée, place au grand vide.

Jérôme: Je suis Œdipe. Je suis à Lausanne. Je couche avec ma mère.

Je suis aveugle.

moi: Moi, je suis éblouie.

Jérôme: Je t'écoute Virginie.

Décris-moi le grand vide de l'Art contemporain. Mieux que sur l'Art du temps.

moi: Mais pas aveugle.

La lumière me brûle les yeux, mais je ne les ferme pas.

15:36

Jérôme: Je sais.

moi: Je les ouvre, à l'épreuve de la clarté et de la chaleur.


Mark Rothko

Jérôme: Ebouriffée, énervée, en totale contradiction, mais pas bégueule pour un sous.

Contradictor.

C'est la femme d'Hector.

moi: Toujours à vouloir t'emmener dans cette lumière.

15:37

L'absolu.

Jérôme: Oui, oui, je te suis.

Nada.

Où sommes-nous ?

moi: Là où nos corps flotteraient, sans poids ni contrainte.

Jérôme: Connais-tu quelqu'un ici ?

Sans poids ni contrainte, in Belleville, ou in Lausanna.

moi: Nous ne savons pas où nous sommes. Mais peu importe, nous sommes bien. Nous ne cherchons plus à plaire.

15:38

Jérôme: Oui.

Même pas à nous-mêmes.

Même pas à toi.

C'est plus fort.

Plus fort que nous.

Nous sommes emportés.

15:39

moi: L'oubli.

Jérôme: Nous nous tenons la main, sur le fleuve de l'oubli.

Et nous voyageons.

Nous flottons.

Parfois tu as peur.

Parfois c'est moi qui ait peur.

moi: Nous oublierons d'où nous nous venons, où nous allons et pourquoi nous y allons.

15:40

Jérôme: Oui, nous flottons…

moi: Seul le chemin compte, main dans la main.

Oui, en apesanteur.

Jérôme: Dans les limbes de l'esprit et du Net, pris dans le flux de la Diffusion.

Du Présent.

Sans personne entre nous et le lecteur.

moi: Dans les ondes du virtuel.

15:41

Jérôme: Nous entends-tu parler dans le noir, lecteur ?

Entends-tu nos cœurs battant à l'unisson ?

Tous ensemble dans l'œil du cyclone ?

Car le monde se meurt.

moi: Entends-tu les vibrations ?

15:42

Jérôme: Le monde se meurt et tu ne dis rien, lecteur.

Viens avec nous.

Prends ta chance.

Mise sur ta bonne étoile, comme nous l'avons fait.

moi: Pas de prosélytisme Jom. Laisse le lecteur à son écran.

Jérôme: I fuck you lecteur lambda.

Je te hais.

Je te déteste.

15:43

Et je te méprise…

Car tu ne me vois pas.

Tu ne me regardes pas.

Tu ne m'entends pas.

moi: On s'en fout du lecteur lambda. Moi, j'aime Bananamoon, Colin, …les autres, connais pas.

Jérôme: Et Virginie.

Lectrice d'elle-même,

15:44

s'offusquant d'elle-même avec le chat.

Parce que le chat n'a rien à voir avec ça.

Avec la détestation de soi.

Et la peur des autres.

Je vous aime.

Tous.

Love.

moi: Ah ça y est ! Qu'elle est con cette Virginie, la reine de la censure, celle qui musèle notre pauvre écrivain maudit.

15:45

Celle qui rentre dans ce jeu de dupes alors qu'elle déteste les faux-semblants!


Brigida Mendes, 05/2, 2009


Jérôme: La plus belle chanson de John Lennon, Love, prendra ma défense bien mieux que moi-même ici.

15:46

Les faux-semblants, cela n'existe pas.

L'illusion, moi, j'appelle cela la fiction.

moi: Lecteur, je t'aime, je pense à toi, love, viens dans les profondeurs avec moi ! C'est comme ça que tu le dirais ???

15:47

Jérôme: Oui, c'est à peu près ça… Mmh, je vois que ça rentre… La fiction n'est pas seulement qu'une illusion.

moi: Les faux-semblants, c’est quand on ne croit pas un seul instant à ce qu'on raconte parce qu'on cherche à plaire ...

15:48

Jérôme: Exact. Moi, je suis très sérieux en choisissant chacun des mots qui passe par ma bouche. Je peux détester le lecteur, et l'aimer. C'est très sérieux.

Le plus compliqué, en effet, est de croire à ce qu'on dit.

Implication.

Générosité.

Comme dans l'autre post.

Celui de Freud et de Balthus.

15:49

Là, c'est celui de Rothko.

Du vide dans lequel tu nous as emporté.

Parle-moi de Rothko.

moi: Un ascète, Monsieur.

Jérôme: Je, tu, sommes des ascètes.

15:50

moi: Un peintre extraordinaire qui plongeait dans la couleur et qui réglait chacun de ses tableaux dans le lieu où il prenait place pour créer l'harmonie.

Cette harmonie que je ne voudrais pas perdre pour séduire quiconque de nos lecteurs.

15:51

Jérôme: Impossible de la perdre, car je suis résistant. Tant que tu me répondras, je serai là. Je suis fidèle. Il y a une théorie de la Résistance, élaborée avec une collègue prof de Yoga. Il faut que je t'en parle dans un prochain post.

moi: Alors vite au prochain post. À bientôt.

15:52

Jérôme: Nos esprits tressés l'un avec l'autre, comme dans le Carnet tressé du désespoir & de l'amour.

15:53

Faut que je la poste sur mon blog cette nouvelle inédite. Que personne n'a jamais lue sérieusement. Jusqu'au bout. 24 pages.

Bises.

Tchô bonne.